Le Rendez-Vous des Plumes – Octobre 2024

Si vous avez besoin d’en savoir plus sur le concept de cet atelier d’écriture mensuel,
voici sa page dédiée, à partir de laquelle vous aurez également accès au règlement.

Le thème du mois est « Fantasmagorique » (le thème est un guide supplémentaire, que vous n’êtes pas obligé.es de suivre)

Inspiration n°1

Inspiration n°2

Inspiration n°3


Inspiration n°1

  • Elyn Arbault

Dans un monde où la magie et la nature se rencontrent, imaginez une créature fascinante, une sorte de marmotte, mais pas comme celles que l’on connaît. Cette marmotte, que l’on pourrait appeler « Marmotorn », se distingue par une paire de majestueuses cornes de cerf qui s’élèvent fièrement de sa tête. Ces cornes, ornées de motifs délicats et de couleurs chatoyantes, scintillent sous la lumière du soleil, créant un spectacle éblouissant dans cet extérieur enchanté.
Le décor qui entoure cette créature est tout aussi captivant. Des arbres aux troncs tordus et aux feuilles luminescentes forment une forêt dense, où chaque pas semble résonner avec une mélodie douce et apaisante. Les fleurs, aux pétales translucides, s’illuminent d’une lueur douce, comme si elles partageaient un secret avec le vent. Au loin, une cascade murmure, ses eaux cristallines se jetant dans un bassin rempli de pierres précieuses qui scintillent comme des étoiles.
La Marmotorn, curieuse et espiègle, explore cet environnement féerique. Elle se faufile entre les racines des arbres, ses cornes se balançant gracieusement. Lorsqu’elle s’arrête pour renifler une fleur, des petites fées, invisibles aux yeux des mortels, dansent autour d’elle, attirées par sa beauté unique. Ces créatures éthérées, avec leurs ailes diaphanes, semblent admirer la Marmotorn comme si elle était la reine de cette forêt enchantée.
Mais la Marmotorn n’est pas seulement une créature de beauté; elle possède également des pouvoirs magiques. En frottant ses cornes contre un arbre ancien, elle peut faire apparaître des visions du passé, révélant les histoires oubliées de la forêt. Les animaux qui vivent dans cet endroit, des renards rusés aux hiboux sages, viennent souvent lui demander conseil, sachant qu’elle détient une sagesse que peu d’autres possèdent.
Un jour, alors que la Marmotorn se repose au bord du bassin, elle aperçoit un reflet étrange dans l’eau. Intriguée, elle s’approche et découvre une autre créature, une sorte de lutin, qui semble perdu et effrayé. Le lutin, nommé Lumin, explique qu’il a été séparé de son groupe et qu’il cherche désespérément à retrouver son chemin. Touchée par son histoire, la Marmotorn décide de l’aider.
Ensemble, ils partent à l’aventure à travers la forêt, rencontrant des obstacles et des merveilles en cours de route. Ils traversent un pont de lianes suspendu au-dessus d’un ravin, explorent des grottes remplies de cristaux étincelants, et découvrent des clairières où le temps semble s’arrêter. Chaque rencontre renforce leur amitié et leur permet de découvrir des aspects cachés de leur propre magie.
Finalement, après de nombreuses péripéties, la Marmotorn et Lumin parviennent à retrouver le groupe du lutin. La rencontre est remplie de joie et de gratitude, et la Marmotorn réalise que sa véritable force réside non seulement dans sa beauté et ses pouvoirs, mais aussi dans sa capacité à créer des liens et à aider les autres. En retour, le groupe de Lumin lui offre un cadeau précieux : une petite pierre magique qui lui permettra de communiquer avec les esprits de la forêt.
Ainsi, la Marmotorn devient non seulement une gardienne de la forêt, mais aussi une amie précieuse pour tous ceux qui y vivent. Son histoire se répand à travers les âges, et elle est célébrée dans les chants et les légendes, une créature unique dans un monde enchanteur, un symbole d’harmonie entre la magie et la nature.


  • Didier Colpin

Au pays du doudou…

FantasmagoriqueMent ? FantasmagoriqueVrai ?
– Souvenir d’un bel hier sa douceur nous enivrait -…

Qu’est donc la réalité tout au début de l’enfance
Le songe qui la revêt rayonne dans l’innocence
Tout un monde imaginaire – au visage souriant –
Fait de gentils zanimaux a le soleil scintillant

Eternel bout de chiffon charmante aimable peluche
Nous étions bien protégés lorsque surgissait l’embûche
Au fin fond de la mémoire est pour toujours ce jadis
Puis vient le monde des grands – mais il n’en est pas le fils -…

Cela reste dans le cœur comme une flamme secrète
Loin du glacial réel à l’austérité concrète…


  • Marina Leridon

Harmonie
Quelque chose vous choque en me regardant ? Mes moustaches ? Mes narines ? Mes yeux ?
Non … mais qu’est-ce alors ?
Ah oui, je sais, tout le monde est admiratif de mes bois.
Trêve de plaisanterie. Je sais que je suis un être à part. Heureusement je ne suis pas seul dans ce cas. Certains de mes amis de la forêt me ressemblent beaucoup, d’autres portent une nageoire sur leur dos ou une corne au bout de leur naseau.
Longtemps, je ne me suis pas senti à ma place. Je me voyais moche, gros, encombré avec ces bois qui pèsent beaucoup trop lourd pour ma tête. Et, en plus, je ne suis pas toujours le même. Dès que la température se réchauffe un peu, mes mini-arbres ont la bonne idée de descendre en route, sans prévenir. En m’arrachant quelques touffes de poils au passage. J’ai tout à coup l’impression d’être tout nu. J’ai froid à la tête.
L’avantage est que je me sens plus léger. Je peux aussi me faufiler partout sans m’accrocher ou casser des branches.
Je retourne à la vie aquatique que j’aime tant. Toute la belle saison, je vis avec mes congénères : les castors. Quel bonheur de ne plus être à l’écart !
Nous nous amusons comme des fous : grignoter, empiler, construire, creuser… Parfois je me laisse emporter par le courant et me retrouve dans un autre groupe.
J’ai essayé de fabriquer des bois avec mes dents. J’en ai fait de très beaux. Mais aucun d’entre eux n’a voulu les mettre sur sa tête. Ils se moquent tous de moi dès que les miens recommencent à pousser. À chaque fois, je suis dévasté. Je reprends mon errance, seul.
Les hivers sont longs, très longs. Je ne peux même pas m’enfouir dans un terrier, encombré que je suis avec mes branches !
Dans ma famille, les enfants sont abandonnés et doivent se débrouiller seuls très tôt. J’ai longtemps marché parmi les arbres, solitaire. Je me suis souvent fâché contre mon apparence : un castor avec des bois de cerf !
Un jour, j’ai rencontré ma copine la licorne. Elle m’a tout de suite pris sous son aile. Oui, oui une licorne a des ailes et est majestueuse quand elle prend son envol.
Elle est très gentille avec moi et, contrairement aux autres, elle ne s’est jamais moquée. Elle a aussi vécu des moments difficiles soit à cause de sa corne soit à cause de ses ailes. Il parait que, sans ces appendices, elle serait un cheval. Je n’en ai jamais vu. De toute façon, je la trouve magnifique comme elle est.
Petit à petit, elle m’a redonné confiance en moi. Nous avons arpenté cette forêt envoûtante.
Chaque jour, ou presque, nous avons rencontré des êtres extraordinaires : petits, grands, gros, menus, moches, beaux, étincelants, ternes, apeurés, impavides, aimables, grincheux, accueillants, repoussants, gais, tristes, curieux, taciturnes, bavards, muets, avec des membres en moins ou en plus. Beaucoup nous ont raconté leur histoire. Tous, sans exception, ont vécu des moments difficiles. Certains sont devenus aigris, d’autres se sont ouverts aux autres.
Les licornes vivent très longtemps. Au fil des années, elles apprennent à s’aimer et à aimer les autres.
Mon amie m’a appris tout ça. Depuis, j’envoie des ondes d’amour partout. Le plus souvent, elles sont bien perçues et j’ai conclu de belles amitiés.
Bien sûr, elles n’atteignent pas toujours leur but. Au pire, je reçois une réaction de rejet, au mieux, de l’indifférence.
Grâce à la sagesse transmise par la licorne, je ne m’en offusque pas et poursuis mon chemin.
Je m’efforce de ne retenir que le positif dans ma vie et c’est bien mieux comme ça !


  • Nathalie Pilard

Les tribulations d’Hubert le cerf
Dans les studios Elk Paradise, l’effervescence était palpable. Les tournages s’enchaînaient car les films de Noel se jouaient en octobre avec des extérieurs plus lumineux qu’en hiver et des scènes sans profondeurs de champs ne réclamant pas de surchauffer les locaux. Sur les plateaux 2 et 3, on venait d’assister à une prise de bois entre Hubert le cerf et Lucien le renne de Noel qui resterait dans les annales du cinéma. Hubert, sur le plateau 3 avait crié à Lucien, sorti du mythique plateau 2, qu’il n’était qu’un comédien de films de brâme, le traitant de wapiti avec ses bois en éventail, ce à quoi Lucien lui avait répondu qu’il en avait plein les daintiers de ses réflexions et l’avait envoyé écorcher les arbres dans les hardes de Laponie.
Derrière ce tapage et ces doux mots d’oiseaux, il y avait le ras-le-bol d’Hubert le cerf, frustré de ne poser chaque année que pour le mois d’octobre du calendrier Elk Paradise alors qu’il rêvait depuis toujours du mois de décembre avec la neige et le Père Noel, privilège, semblait-il, réservé à Lucien. La présence dans les studios de Molly la biche, comédienne pressentie cette année pour le mois de novembre du calendrier mythique, avait probablement favorisé sinon provoqué l’altercation entre les deux bêtes à bois.
Au sortir de la séance photo, Hubert prit la décision de partir en guerre contre Lucien et les rennes et s’était adressé au syndicat des comédiens cervidés dont il connaissait le poids auprès des studios. Il y avait plaidé sa cause avec les arguments les plus forts : pourquoi depuis toujours le Père Noel se tournait-il vers les rennes alors que le réchauffement climatique permettait aujourd’hui qu’il soit guidé par des cerfs, pourquoi lui n’était-il pas choisi au lieu de Lucien alors qu’il était une vedette du petit écran depuis des générations alors que Lucien se contentait de rôles au cinéma, etc.
Le syndicat, habitué aux susceptibilités des acteurs, et comptant Hubert parmi ses cotisants les plus célèbres, décida alors de toucher deux mots de cette affaire à Elk Paradise en tentant de les amadouer. Après tout, ils avaient de l’influence dans les hautes sphères politiques qui comptaient dans leurs rangs plus d’un as de la comédie et seraient capables d’en jouer. À leur grand étonnement, les délégués obtinrent très facilement gain de cause.
Hubert se présenta dès lors aux studios de cinéma peu de temps après avec une allure folle. Son pelage d’hiver brun-roux était plus épais que jamais. Il avait perdu du poids et aiguisé ses bois à la perfection. Son cou était élancé, son poitrail massif. Chance des chances : Molly la biche discutait plus loin avec un producteur, elle pourrait le voir au top de sa forme et dans les meilleures conditions du monde ! Elle semblait heureuse, son sourire illuminait comme un soleil, et elle se retourna pour le saluer. Malgré cela il ne sentit pas qu’elle fut impressionnée que d’habitude.
Introduit sur le plateau 2, Hubert comprit très vite que la photo du mois de décembre ne s’obtenait pas avec une simple pose, fut-elle longue. L’humain jouant le Père Noël, un certain Bob, connu, paraît-il, pour ses rôles de Ike le cheval dans Le petit monde de Charlotte et du gars bizarre qui chuchote à l’oreille des chevaux, avait bien l’intention de prendre toute la place devant l’objectif avec son sourire ravageur. Quelques coups de bassin s’étaient avérés nécessaires pour ne pas finir dans le décor avec les faux sapins et lui désigner clairement qui était le premier plan dans cette histoire.
Mais alors que Bob avait compris où se trouvait sa place et que je m’installai fièrement à l’avant, une tonne de neige artificielle fut projetée sur nos visages au point qu’on en fut aveuglés. La machine appelée ‘bombe à neige’ avait déversé l’intégralité de son contenu en une seule vaporisation. Après les éternuements et la peur d’étouffer par des produits toxiques, il nous fallut subir les conséquences de l’accident. Le maquilleur eut à transformer les amas de plastiques collants en points blancs censés représenter des flocons sur nos vêtements et notre pelage. Des techniciens imitèrent la neige en peignant des points blancs sur les décors. Tout ceci prit un temps considérable et nous rêvions tous d’entendre le « c’est dans la boîte ! » afin de mettre un terme à cette expérience épouvantable. À la sortie, Molly avait quitté les lieux depuis longtemps.
Si Molly n’avait pas été particulièrement impressionnée, c’était en partie car elle vivait de son côté quelque chose d’extraordinaire. Lucien le renne n’avait pas livré combat à Hubert pour conserver son privilège de décembre chez Elk Paradise car il avait été approché par les studios Brocéliande de fantasmagorie. Les plus vieux studios du monde avaient décidé de revenir sur le devant de la scène avec l’idée géniale de remettre à la mode les lanternes de peur qui avaient fait leur succès des décennies auparavant.
Halloween était proche et Brocéliande devait tout miser sur cette période de l’épouvante pour faire un comeback réussi de l’art trompeur en commençant par un calendrier. Le pari étant risqué, ils avaient fait appel à des stars. Lucien avait demandé le renfort de la belle Molly pour se partager tous les mois du calendrier. Octobre et novembre les voyaient réunis dans une animation, une image animée sur le calendrier lui-même, la chose était totalement inédite. Le tournage avait vu s’enchaîner les rétroprojections mobiles sur de la fumée et de grandes séances d’images lumineuses et animées avaient pris place. Rien n’avait été plus merveilleux pour les deux acteurs qui semblaient évoluer dans les nuages, jouant avec les ombres et les lumières du plateau comme deux faons.
Le succès du calendrier Brocéliande alla au-delà de toute espérance. On se l’arrachait. Des dizaines de réimpressions durent être effectuées dès les premières semaines. La fantasmagorie revivait et des spectacles de magiciens fantasmagoriques revoyaient le jour dans tout le pays. Au désespoir de Hubert, Lucien conservait à jamais son statut de roi des calendriers. Le noir et blanc, désormais estampillé N&B Brocéliande, floutait tous les défauts du pelage, accentuait la profondeur du regard de Lucien comme de celui de Molly, dont la beauté semblait extraterrestre. Lui, Hubert, se trouvait laid avec ses fausses tâches de neige sur le poitrail, le regard fatigué par le nombre incessant de prises de vues, et ridicule d’avoir lutté pour un si maigre trophée.
Pourtant Molly, désormais la biche la plus convoitée du monde, trouvait Hubert brave, héroïque même. Elle vint le voir et lui dit qu’elle aimait énormément cette photo de décembre, bien qu’elle préférât quand même sa photo d’octobre avec son air si doux. Hubert n’en croyait pas ses oreilles. Malgré sa célébrité, Molly n’avait pas oublié leur amitié et se montrait même généreuse avec lui. Quelle bonne âme. Il ne la méritait pas, se disait-il.
Depuis toujours pourtant Molly avait été attachée à Hubert malgré sa maladresse. Elle dût lui faire comprendre mieux et ils se mirent ensemble. Une fois leur union scellée et par loyauté pour son épouse, Hubert le cerf accepta toutes les propositions de calendriers, mais n’accepta que les contrats du mois d’octobre, mois d’ailleurs de leurs épousailles filmées par Brocéliande. Pour cet événement, ils eurent deux témoins, Lucien et son compagnon Willy, égérie des nouveaux studios de fantasmagorie Draculand.


  • Tuy-Nga Brignol

Décryptage et interprétation d’une vision
L’interprétation d’une vision est une pratique cherchant à donner un sens aux images que nous expérimentons. Si l’image n’a pas de lien direct avec la réalité, elle laisse souvent une sensation particulière. Elle nous marque et laisse une impression profonde et persistante. Son contenu apparaît sous une forme symbolique et renferme des choses cachées à la conscience. D’après certains psychologues, ces visions révèlent notre neurobiologie et semblent influencer la façon dont nous naviguons dans la vie éveillée. Elles seraient la conséquence d’une reprogrammation neurologique pour préserver notre personnalité et réguler notre équilibre émotionnel.
Kirikou, le cochon d’Inde de Claire est une petite créature docile adorant être nourrie à la main par elle. Lorsqu’elle le caresse, elle l’entend « roucouler », signe de bonheur et d’appréciation. Sa cage est placée en hauteur, mais pas trop haut afin qu’il puisse observer facilement les environs, dans un endroit calme de la maison, loin du va-et-vient et des bruits agressants.
Récemment, dans un état de demi-éveil, Claire a vu une image étrange et hallucinatoire de Kirikou. Il porte comme le cerf des bois ramifiés et émet autour de lui plein de petits cœurs de couleur orange. C’est une opportunité unique d’explorer ces mystères à la fois scientifiques et spirituels, et de révéler comment nous pouvons éveiller ces capacités en soi-même.
Quel est le symbolisme de cette vision ? Claire ressent un appel à comprendre ce que son âme essaie de lui dire à travers cette vision. En réalité, notre âme est une partie de nous. Son âme a peut-être orchestré cette image fantastique pour qu’elle puise en tirer une leçon ?
En lithothérapie, la pierre orange est associée à la joie de vivre, à l’optimisme et à la confiance en soi. Parmi les avantages du quartz orange, on peut citer une adaptabilité, une créativité et une vitalité accrues. De plus, le quartz orange peut aider à accepter le changement et trouver de nouvelles opportunités de croissance.
Révéler le meilleur d’elle-même, un potentiel présent en chacun de nous. Reprendre en confiance la liste de ses rêves ? Explorer ses talents cachés ?
Dans une introspection bienveillante, elle a trouvé la clé pour changer de regard. Cela lui donne envie de fournir le meilleur d’elle-même pour concrétiser ce qui fait sens pour elle. Désormais, elle adoptera une attitude positive pour avancer avec un nouvel élan, en confiance et en conscience sur son chemin de vie.


Inspiration n°2

  • Ethan Garnier

Le Kinétoscope

Image après image dans une morne boîte
Projetée en moi, la fantasmagorie hydrate
Mon estomac spongieux et mon esprit casemate
Voulant refouler les traumatismes, les stigmates.

Flash-backs et remords vivent comme noyaux caudés.
Le Kinétoscope montre un chien noir enfermé
Dans la cage de honte civilement codée
Tourne en rond, mordant sa queue, tel serpent du péché.

Les fantômes du passé ne sont pas projetés
Hors du corps et des yeux par peur de ceux étrangers.
Il est trop tard d’en parler me dis-je, donc esseulée,
Inconsciemment, cette image continue de tuer.

En mentant aux démons, j’emporterai dans ma tombe
Ce Kinétoscope, tel bunker cloîtrant la bombe,
Me protégeant dans ma coquille comme le strombe,
Jetant mes pensées d’antan hantées dans une combe.


  • Peneios

La bêtise des fantômes
« Je te jure, maman ! Y’avait… y’avait des fantômes partout ! Partout ! Y’en avait un qui courait, y faisait peur ! Y’avait deux autres qui dansaient ! Et ils disaient qu’en fait, et bah… c’était des fantômes du futur ! Et même qu’il y en avait un… et bah, même que lui, c’était le plus effrayant ! Lui… et bah, lui, même qu’il ressemblait à papa… »
Assis sur mon fauteuil dans la véranda, j’entendais mon fils pleurnicher et raconter, de sa voix tremblotante, son horrible aventure à sa maman. Il était rentré de sa balade forestière en courant. Je ne l’avais jamais observé sprinter aussi vite. C’était impressionnant. Il devait vraiment être terrifié. L’adrénaline coulait dans ses artères, accélérant les pulsations de son cœur. Il courait, ignorant le sang qui coulait de ses genoux. Son visage était livide, blanchi par la peur. Ses yeux étaient rouges, laissant un flot de larmes se déverser sur ses joues jusqu’au menton.
Ma femme l’avait recueilli dans ses bras pour le consoler. « Oh mon ptit chat… viens dans mes bras. Ton père et moi, on va te protéger de ces vilains fantômes. »
J’entendais encore les plaintes de mon fils, quand, de mon côté, je terminais de sécher mes larmes, les joues irritées par le sel. Désespoir et pleurs. Épuisement et vide. Alors que je ressentais cette irrémédiable envie de dormir après ma crise d’angoisse, je songeais aux paroles de ma femme : comment allais-je protéger notre enfant de ces vilains fantômes, si je n’arrivais pas à lutter contre les miens ?
Cette nuit-là, je ne dormis pas. Mon fils non plus. De l’autre côté du mur, je l’entendais remuer dans son lit, retirant la couette parce qu’il avait trop chaud, puis la remontant pour se rassurer et se protéger des créatures fantomatiques qui hantaient encore son esprit. Je le rejoignis dans sa chambre pour lui tenir compagnie, ou peut-être que c’était moi qui cherchais quelqu’un à qui parler. Lorsque je m’assis sur une chaise, près de son lit, il tourna sa tête vers moi et un sourire de satisfaction se dessina sur ses lèvres. Le genre de rictus qui veut dire « Merci, papa ». Ça me réchauffa le cœur et on dirait que, lui aussi, avait repris des couleurs. Je l’aimais, mon enfant. On s’échangea des anecdotes et des blagues. Il voulait que je le fasse rire avec une histoire sur sa maman et moi, alors je lui racontai notre dangereuse escapade dans les champs des moutons. Nous devions prendre un de mes raccourcis mais une brebis nous chargea, puis l’effet mouton entraîna les quelques trois cent autres à nos trousses ! Nous courions et ma femme criait « Je n’en peux plus ! Je te déteste ! » Ahah ! Mon fils riait et moi, je souriais. Notre moral désormais remonté, je quittai sa chambre en lui promettant que, le lendemain, nous jouerions ensemble. Excité, mon enfant me pria de rester avec lui toute la journée, mais je lui expliquai que je devais travailler. « Papa, c’est quoi ton travail ? ». Je suis chercheur, j’étudie les plantes et leur évolution, lui répondis-je. « Papa, le fantôme qui te ressemblait… et bah, lui aussi, il étudiait les plantes dans la forêt. ». L’imagination d’un enfant est impressionnante, mais cette dernière description de l’être fantomatique m’interpela.
Le lendemain, alors que je devais rédiger cet article scientifique qui me rendait fou, mes réflexions se focalisaient sur ce que m’avait dit mon enfant. Et si je devais croire son histoire ? Et s’il y avait vraiment des fantômes dans cette forêt, dont un qui me ressemblait. Non, ça ne pouvait pas être possible. Mon esprit scientifique me disait que les fantômes n’existaient pas. Mais cet esprit scientifique ne serait rien sans ma curiosité. Intrigué et envoûté par la magie de l’aventure, le soir, je décidai de faire un détour par la forêt avant de rentrer à la maison. Je déambulais entre les hêtres, les chênes et les érables, frôlant les grandes frondes des fougères aigles. Je marchais sur un lit de feuilles mortes oranges ou brunes, évitant les petits scarabées violacés et les champignons aux formes féériques. Je m’assis sur une vielle souche humide couverte de mousses vertes et j’observai la forêt. Aucun fantôme du futur. Tout était si calme ici. J’entendais un pic percuter le tronc d’un arbre, à la recherche de larves et d’insectes. Il y avait aussi ce léger vent qui froissait les feuilles et ce bruit lointain de ruisseau. Aucun fantôme du futur. L’odeur de l’humus s’infiltra dans mes narines, lentement remplacée par les doux effluves sucrés des chèvrefeuilles. Aucun fantôme du futur. Peut-être n’était-ce pas le bon moment ? Peut-être qu’ils ne voulaient pas me voir ? Ou peut-être, plus vraisemblablement, que mon fils avait halluciné, effrayé par la forêt sombre ou par l’ancien cimetière dans la clairière, à quelques pas d’ici. Moi, quand j’étais enfant, j’étais terrifié par les cimetières ! Quand je passais à côté de cimetières, je me faisais violence pour ne pas paniquer en pensant aux tombes et aux fantômes. Évidemment, les nuits suivantes, j’enchainais les cauchemars et pour me changer les idées, je jouais avec mes petites voitures, ou encore avec des amis. On s’amusait en imitant les super-héros, on s’imaginait en chevaliers, on construisait des cabanes avec des branches et on faisait de délicieux goûters ! Je l’aimais, mon enfance. Mais tout ça n’était que les fantômes du passé. C’était avant d’apprendre toutes ces choses sur le monde qui m’entourait et qui me constituait. Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Ça veut dire quoi penser ? Est-ce moi qui pense ? Qui est ce moi ? Une conscience, ça veut dire quoi ? Dieu, dieux, croyances, réflexion, jalousie, discipline, envie, femmes, séduction, sciences, sexe, observation, imitations, personnalité, personnalité, personnalité, personnalité, une, deux, trois, quatre, mille, nature, dépression, orage, beau, intelligent, moche, faible, angoisse, évolution, envie, compétitions, révélations, découvertes, concours, envie, personnalités, transport, métro, klaxon, physique, chimie, particules, évolution, interactions, flux du Vivant, je, nous, il, le tas de particules fait partie du flux de la matière, plus aucun sens à ma vie. Vide. Je n’avais jamais sprinté aussi vite. C’était impressionnant. Taxus baccata. J’étais vraiment effrayé. L’adrénaline coulait dans mes veines. Digitalis purpurea. Je courais, ignorant le sang qui coulait de mes genoux. Lonicera xylosteum. Mon visage était livide et des larmes coulaient sur mes joues. Des plantes toxiques dans cette forêt. Des plantes toxiques que je vais manger pour en finir avec ces fantômes. Mais pourquoi n’arrivais-je pas à attraper ces végétaux ? Tout devînt flou et translucide autour de moi. Les chênes, les papillons, les martres, les renards, les chouettes. Les grenouilles ne sautaient plus. Les pics ne piquaient plus. Les fleurs ne sentaient plus. Tout devenait fantomatique. Puis, en tournant la tête, je me vis. « Et nous voilà, fantômes du futur ! » annonça mon double. Je distinguais désormais des silhouettes humaines, spectrales elles aussi. Une courait. Deux autres dansaient. « Ceux-là sont morts de simples bêtises humaines. » Il en arrivait davantage. Une dizaine. Une centaine. Mille. Un million. Neuf milliards ! Elles se tenaient debout, immobiles, autour de moi. Certaines étaient vêtues de riches vêtements, d’autres de haillons qui recouvraient à peine leurs membres squelettiques. C’était un mélange de genres et de cultures du monde entier. Elles étaient silencieuses et me fixaient. « Mais ceux-là sont morts de la bêtise de l’humanité. ». Mon double translucide s’approcha, me pointa du doigt et m’ordonna d’un ton solennel et d’une voix qui résonnait dans l’air : « N’efface pas les fantômes du passé. Utilise les pour combattre ceux du futur. Efface-moi et écris. »
Une fois rentré à la maison, je m’agenouillai devant mon enfant et lui dis « Tu sais, je crois que tu te trompais : ce n’était pas moi le fantôme dans la forêt – et après un échange de sourires complices – On joue ensemble ? »


  • Amistessa

Il fait noir. C’est le premier constat que je fis lorsque je m’éveillai.
Il fait noir et pourtant il me semble avoir aperçu le soleil il y a quelques instants. Quelques étoiles habillent le ciel mais cela ne va pas durer. Les nuages se sont assombris et la température s’est refroidie. Il va pleuvoir.
Ils doivent se dépêcher avant que l’averse ne tombe sur eux et efface toutes les traces.
Il fait nuit. Un festival de gyrophares m’entoure. Les sirènes ne cessent leur ritournelle à côté des jacassements des voisins et des murmures des officiers. Belle cacophonie !
Bientôt, quasiment tout le monde le saura. Le reste ignorera puisque cette ville n’en a que faire d’un pauvre corps allongé dans un jardin. Les potins et faits divers sont monnaies courantes, un de plus ou de moins, seul l’archiviste s’en souciera. Et en même temps, c’est son boulot de classer et de conserver l’ensemble des pièces afin d’anticiper les « au cas où ». Encore heureux ! Sinon, on finirait tous dans les oubliettes avec pour seule preuve de notre existence, ce pauvre vagin qui n’existe lui-même plus.
La nouvelle est forte intéressante et j’espère qu’elle fera la Une des journaux. L’enquêteur qui poursuivait un assassin récidiviste a été retrouvé mort chez lui dans son jardin.
Je suis mort. Quelle plaie ! L’autre idiot a vraiment réussi son coup cette fois-ci ! »
Je suis la septième personne à intégrer la liste de ce psychopathe. Comme à son habitude, il n’a laissé aucune trace.
Les photographes m’entourent de leur appareil. Les flashs pleuvent à intervalles réguliers sur une peau tantôt blanche tantôt noire.
J’étais en tenue de soirée, une chemise noire sur une veste de smoking. J’avais d’ailleurs troqué la cravate par un nœud papillon et mon pantalon avait été tellement repassé à la blanchisserie que les plies paraissaient presque invisibles.
J’avais des cheveux d’un très beau brun posés au-dessus d’un visage carré. Ce qui était pénible était mon nez. Il était long avec une cicatrice à la narine gauche qui donnait l’allure d’un filou. Je l’ai toujours détesté. Et avec la lividité de mon corps, j’avais l’apparence d’une racaille bien chaussée. Quelle postérité ! Au moins, le meurtrier a épargné le monde de cette laideur.
Mon corps, simplement allongé au sol, écrasait toutes les feuilles du gazon.
Etrangement, je paraissais calme.
« Mensonge ! » vociférai-je bien que personne ne m’entende.
Seule une rose rouge aussi vive que le sang avait réussi à se frayer un chemin. J’aurai aimé que les photographes immortalisent le désir de vivre de cette pauvre plante.
« Celle-là alors souhaitait vraiment prendre la pose ! », pensai-je.
La situation était horriblement somptueuse : j’avais l’apparence d’un simple dormeur pâle alors qu’en réalité j’étais mort.
Je ne pouvais plus m’appesantir ici. Il faisait nuit et je voulais faire une dernière chose avant de totalement disparaître.
Un dernier regard à mon corps que je promis de ne pas abandonner et je pris la direction des quais.
L’air était frais.
C’était l’heure pendant laquelle les travailleurs rentraient chez eux au rythme d’une valse à 16 temps. Ce mouvement de va et vient ressemblait à un orchestre qui rendait hommage à leur chef. Ça allait et venait. Encore et encore. Certains étaient lents comme des tortues tandis que d’autres tels que des guépards allaient tellement vite qu’on aurait cru qu’ils avaient le feu aux fesses ! Ils me traversaient sans se douter de quoi ce soit. Ils riaient, pleuraient ou hurlaient. Ils se battaient ou se faisaient des accolades. Ils étaient tout simplement passionnés…
Ma marche se poursuivit jusqu’à ma destination.
Me voilà désormais face à la mer comme je me l’étais promis.
« Il fait bon » murmurai-je.
Rien qu’une dernière fois, je voulais ressentir cette odeur iodée et retrouver ce vaste étendu d’eau.
Ainsi, s’achève « la balade de l’enquêteur mort », proclama la conteuse, directrice de l’exposition FOLIGORIE.


  • Jérôme Bertin

Une tante pas comme les autres
Tous ceux qui ont connu ma tante ne l’oublieront jamais. Elle a vécu 74 ans, et j’ai eu le privilège de partager ses dernières années. C’était quelqu’un qui voyait la vie du bon côté, et vous faisait oublier vos tracas, dans une bonne humeur permanente qui prenait de nombreux artifices. Elle adorait par exemple se déguiser et jouer des personnes différents.
Quand elle est morte, ça a été une immense perte. Pour sa famille, pour ses amis, qui étaient nombreux.
Je partais passer mes vacances scolaires chez elle, et j’avais vraiment conscience que ça tranchait avec ma vie plus habituelle. Mes parents étaient des gens plutôt froids et rationalistes.
Je me souviens plus particulièrement de vacances de Toussaint, j’avais treize ans. Je suis arrivé le samedi des vacances. J’arrivais par le train et je faisais le reste du trajet à pied. Je savais pertinemment que si je lui annonçais mon arrivée, elle ne viendrait pas me chercher. Elle oublierait très vite.
Et puis c’était l’occasion de lui faire une surprise. Les surprises, elle, elle m’en faisait souvent. Et ça a été encore une fois le cas. J’ai sonné à la porte. Personne pour répondre. J’ai pensé qu’elle était chez quelqu’un. J’ai senti une présence derrière moi. Je me suis retourné. Une sorcière arrivait derrière moi. Je n’ai pas eu peur, mais j’avoue que je n’ai pas reconnu tout de suite, sous le maquillage, ma grand-mère. Il faut dire qu’elle était très habile pour se maquiller. Elle avait travaillé pendant plus de trente-cinq ans dans le spectacle et c’était précisément son métier.
— Tu es magnifique!, je me suis écrié.
— J’espérais te faire peur! Mais tu me connais trop bien!
On est passés à l’intérieur. Je savais d’ores et déjà qu’un bon goûter m’attendait. Elle avait décoré sa maison en conséquence. C’était la maison du bonheur. Tout se passait bien ici, avec elle. On se sentait à l’abri des malheurs du monde.
Notre relation, empreinte d’affection, était un perpétuel jeu, mais un jeu affectueux. On aimait taquiner l’autre, le surprendre…
C’est comme ça que je me suis retrouvé, quelques jours plus tard avec moi aussi un déguisement. Elle était partie chez des voisins et elle n’allait pas tarder à rentrer. J’avais décidé de la faire simple, et de jouer avec les clichés. D’ailleurs, quand on se déguisait, faisait-on autre chose que de jouer avec les clichés? J’avais récupéré un vieux drap, elle en stockait plein dans la buanderie, elle s’en servait par exemple pour faire de la peinture et j’avais donc pris un de ces vieux draps, et j’y avais découpé deux trous pour les yeux. Ça correspondait au cliché du fantôme. Ça la ferait au moins rire. Le rire a de multiples formes, et il en faut parfois peu pour amener au moins un sourire. Et puis ma tante était un bon public.
Je me suis posé derrière la haie qui longeait l’allée dallée qui conduisait à sa maison. J’aurais pu me cacher et bondir quand elle arriverait, mais j’ai pensé, paradoxalement, que ça serait plus efficace si je me posais là, debout. Un autre scénario.
La nuit tombait quand je me suis calé là. Je ne savais pas trop quand elle allait rentrer. Je me laissais une marge.
Je m’étais posé depuis cinq minutes quand j’ai senti une présence près de moi. Je me suis tourné sur ma gauche. Il y avait quelqu’un qui avait exactement la même tenue que moi. Un drap qui avait valeur de suaire.
Je n’ai pas été vraiment surpris parce qu’elle entraînait pas mal de monde au village dans ses délires, et les gens aimaient bien, à son image, se déguiser, s’amuser…Elle avait amené une réelle vie ici.
Non, ce qui m’a un peu décontenancé, c’est que je n’avais absolument pas entendu cette personne arriver. Comme s’il était apparu soudainement.
— Tu veux faire une farce à Rosie?
Rosie, c’était ma tante.
Pas de réponse. Quelqu’un de timide, sans doute.
— On a eu la même idée.
Et on a attendu tous les deux. Je me demandais qui c’était. Je connaissais pas mal de monde au village. Un ado, un adulte? Il n’avait en tout cas envie de parler.
J’étais dans une bonne journée. Il a seulement fallu que j’attende un quart d’heure avant que ma tante n’arrive au bout du chemin. Elle m’a, je crois, repéré dès les premières secondes, mais elle a fait comme si elle n’avait rien vu. Arrivée à mon niveau, elle s’est tournée vers moi et elle m’a dit:
— Je vous connais, monsieur?
— Je suis venu vous hanter, madame.
— Pas de ça chez moi!
Il y avait un passage au milieu de la haie.
— Je me demande comment tu m’a reconnu.
— J’ai un sixième sens particulièrement développé.
— Et tu n’as rien dit à mon partenaire?
Elle m’a regardé d’un air surpris.
— Tu fais référence à qui?
— Hé bien à la personne qui était à côté de moi.
— Mais je n’ai vu personne d’autre que toi.
On s’est retournés tous les deux. Elle n’a rien vu. Moi si. Cette silhouette, lentement se dissoudre jusqu’à disparaître totalement.


Inspiration n°3

  • Patricia Forge

Antidouleurs
Mon corps me fait mal. Les nerfs, les muscles, les tendons, tous semblent en panne. Et mon esprit déraille.
Les idées noires essaiment se nourrissant des souvenirs de ceux partis dans la souffrance de maux innommables et incurables.
On me dit fée ou sorcière mais je n’ai pas le don de résoudre le mystère de ce qui épuise mon corps. C’est une lutte solitaire.
Ma baguette de noisetier dans les mains, je lutte contre le destin.
Ce soir, c’est décidé il me faut une solution.
Romarin, Thym, herbes magiques et voici ma préparation pour une bonne infusion limite hypnotique.
Quelques heures plus tard, dans mon lit le soir, me voici devenue une souris laborieuse prête à aller interroger ma bonne étoile.
Ma baguette transformée en balai supersonique, me voici en route pour l’espace intergalactique.
Ma bonne étoile semble dysfonctionner, allons la réparer !
J’ai pris quelques outils pour faire du bricolage, avec mon balai je ferais le ménage. Une fiole de potion pour pouvoir l’astiquer, des feuilles d’orangers pour la parfumer.
Des étoiles amies m’indiquent le chemin, mon vaillant balai file bon train.
Me voici arrivée, mon étoile fatigue. Un trop plein d’inquiétudes la fait peiner. Le maître des étoiles lui a dit « Pas de contrariétés ! ». Malheureusement, elle en a eu des milliers. Et voilà qu’elle s’est mise à flancher.
Un nuage sombre l’entoure de ses maléfices lui volant sa lumière et ses beaux artifices.
Petite souris alerte, je m’active sans compter, avec mon balai, pour le chasser sans délai.
Des ombres fantasmagoriques tournoient dans une ronde diabolique. L’œil de tigre autour de mon cou les dissous d’un seul coup !
Je plante du romarin à chaque branche de l’étoile pour que perde le mal. Ainsi, bien protégée, ma petite étoile se remet à briller. Nous causons un instant de tout et de rien. Ai-je vu un renard, une rose en chemin ?
Mais je ne peux m’attarder très longtemps. Car je suis attendue sur la belle Terre bleue par ceux que j’aime et sur lesquels je veille.
Une goutte de potion – carburant pour mon balai gourmand et en route pour le retour avec l’énergie de l’astre bienveillant pour que mon corps poursuive le combat, vaillant petit soldat.
Ma branche de noisetier dans les doigts…


  • Amapola

L’étoile noire
L’air de rien sous mon bonnet jaune, j’essaie d’arborer un air sûr de soi, qui a du répondant. Un air de costaud, quoi ! Baguette en main et outils ceints autour de la taille, je me fraie un chemin entre les brillants de poussière. Malgré les apparences, je ne suis pas sereine du tout. J’ai la tourniole, la tremblotte, foi de moi.
J’ai dû m’y reprendre à deux fois pour sauter sur mon balai, j’avais si peur de le rater que je me suis retrouvée de l’autre côté du manche. Impossible de lisser ma queue qui me suit en point d’interrogation, reflétant mes pensées. Mes moustaches sont tendues comme une débutante à son premier bal.
Depuis cet appel hier soir, depuis cette convocation pressante je ne tiens pas en place. Je furète et trottipatte, m’arrête, me carapate. Je ne souris plus. Fini la tournée nocturne des dents tombées, la gentille petite souris, cafardeuse, broie du noir, et s’est changée en rat dépressif et sur ses gardes. La galaxie est tombée dans mon tunnel m’empêchant de respirer, oppressant mes poumons, insensibilisant mes moustaches. Je n’ai plus aucun sens de survie. Nooooon, je ne suis pas sereine !
Pourquoi m’avoir choisie, moi, souris parmi les myriades de souris de la galaxie Poilgri ? Je me ronge les sangs, n’ai plus goût à rien. Je ne vois que les trous du fromage. Je n’ai pas mis le museau dehors depuis l’appel de l’Etoile Noire. « Quand l’Etoile Noire appellera, ton devoir accompliras ! » La voix sifflante de papy souris chante encore à mes oreilles. Je ne suis pas prête. Crochet, marteau, patte de biche, tournebranche et règle de trois sont mes seuls outils, avec mon épuisette fatiguée. Mes parents m’ont prévenue une fois la branche réparée, tu devras quitter l’étoile sans chercher à comprendre.
Avant de me poser, je risque un tour de balai, histoire de vérifier tout de même où je mets les pattes. L’étoile est noire de souris qui paraissent très affairées, courent chargées de gros sacs marqués d’un T. La branche à rallumer s’étire, lugubre et déserte près d’un hangar gigantesque où entrent les souris portefaix. Un projecteur rouge soudain braqué sur moi m’empêche d’inspecter plus avant et des salves de jets d’eau glacée me forcent à atterrir. Je perds patte sur ce sol hérissé de pointes entassées qui s’affaissent et ne me permettent pas de garder mon assiette. J’aurais préféré une arrivée plus digne et stable !
Cherchant un terrain plat sur ce monticule, je suis attirée par des éclats rougeâtres réguliers provoqués par le balayage des projecteurs. Cependant, je marche sur des pointes brillantes, nacrées, minuscules, certaines acérées qui me rappellent que j’aurais dû être en ce moment, sans cette satanée injonction, en pleine collecte de quenot.. Des dents ! dddddddddé-dé-dédé-dédédé des dents ! Des ratiches, des incisives de mes congénères ! J’évolue en chancelant sur une montagne de dents de souris. Je défaille face à cette découverte, trébuche sur mon balai et pour ne pas me retrouver enseveli sous cet émail, je prends mes pattes à mon cou et me mets à pagayer comme un fou avec mon balai sur ce tertre mouvant et cliquetant. Je m’escrime tant que je parviens à la patte du tas. La stupéfaction ne m’empêche pas de penser à prélever un échantillon vite englouti sous mon bonnet.
A peine le temps de constater que je n’ai perdu aucun os, je suis happé par une colonne de souris à la mine défaite, charriant d’énormes sacs qui émettent des cliquetis lugubres. Ces petits êtres travaillent d’arrache-patte pour l’Etoile Noire. Quand j’essaie de m’adresser à l’une d’entre elles, celle-ci me tape violemment sur la tête en me hurlant sous les moustaches « fffffuuuut ! », repris par toutes ses voisines. Horreur ! Toutes les souris portent des bouches édentées, gouffres sombres parfois sanguinolents quand l’extraction est récente. « F’est pas le moment d’attirer fon attenfion » balance la bavarde montrant de la queue un matou adipeux au poil clairsemé, juché sur un bidon vide. Une bouteille de lait à la patte, le matou-maton rythme la cadence du défilé à l’aide de tapettes qu’il déclenche et réarme en permanence. La chorégraphie offre parfois des soubresauts quand le vicieux minet observe un temps de pause, avant de faire claquer toutes les tapettes dans un clac tonitruant. J’essaie de me faire petite derrière les sacs imposants et dès que nous pénétrons dans le hangar j’improvise à patte levée et cours me planquer derrière une machine. L’atmosphère suffocante qui règne est accentuée par un vrillement strident telle une sirène d’ambulance. La cohorte suit un cheminement compliqué qui grimpe sur des tapis roulants avant de disparaître dans une sorte d’immenses entonnoirs métalliques à deux embouchures. Dans l’une, les sacs sont déversés puis leur contenu trié dans une salle souterraine. Dans l’autre, mes congénères tombent, libérées de leur charge, mais le cœur lourd de peurs.
Tandis que j’observe ce ballet ignoble mais obsédant, je n’ai pas vu matou-maton bondir de son bidon, jeter sa bouteille sur sa victime qu’il maintient sous sa patte crochue. La pauvre souris tétanisée se vide de sérums malodorants avant d’être prise de convulsions, qui, sous le poids de la patte, précipitent sa fin. C’est alors que retentit la fameuse sirène suivie d’un engin monté sur chenilles velues, constitué d’un tube à boudins transparents. La transparence a le mérite de servir d’exemple et d’éviter les mises en garde réitérées… Matou-maton, d’un signe de tête, ordonne l’aspiration du corps inerte. Aussitôt emporté, sa place est prise par la souris suivante. Le matou tout-puissant est libre de choisir autant de proies qu’il le souhaite, pourvu que leur sac soit récupéré et son contenu exploité.
Je réussis à me faufiler dans l’entonnoir qui mène au sous-sol et à l’aide de ma patte de biche, fracture la porte qui condamne ce qui ressemble à un centre de stockage. Les dents ont été triées par taille, poids, forme, couleur, brillance, réverbération, dureté, tranchant, son. Je n’aurais jamais cru qu’il y eut autant de catégories pour de simples dents de souris. Ainsi classifiées, elles sont à nouveau chargées dans des sacs adaptés à leur gabarit, et, à l’aide de chariots pneumatiques transportées sur la cinquième branche de l’Etoile Noire, celle que je dois réparer. Aucun souci donc pour rompre mon anonymat puisque je suis en mission, tous mes papiers sont en règle. Le bassin de conservation, qui s’étire tout le long de la branche, est gardé par une souris à la stature impressionnante, qui a l’air bête comme ses pattes. Quand je lui demande pourquoi la lettre T figure sur les sacs, elle me répond : « ben T comme édenté ».
Grâce à ma règle de trois, j’ai vite fait le calcul : le stock réalisé équivaut au tiers de la population infantile de Poilgri. C’est sur l’Etoile Noire que gît le trésor des dents qui seront ré-implantées sur les enfants qui ont perdu leurs dents de lait et les ont vu récupérées par notre communauté. Grâce à cette collecte et au sacrifice -plutôt forcé- des souris de l’Etoile Noire, les enfants peuvent voir de nouvelles dents pousser, remplaçant les anciennes, quasiment à l’identique. Il existe parfois quelques disparités dans les échanges et l’on doit alors faire appel à la chirurgie humaine. Mais dans la majorité des cas, le système est bien rôdé et le secret de l’Etoile bien gardé.
Avant de quitter l’Etoile, une fois la branche réparée -ce qui pour moi, fut chose aisée-, je m’empressais de rendre la quenotte que j’avais subtilisée pour qu’elle ne manquât pas à l’un des enfants récipiendaires.
Désormais, je ne dors que d’un œil, gardant l’autre vissé sur l’Etoile Noire, espérant devoir à nouveau intervenir dans son fabuleux royaume.


  • Didize

Il était une fois, une jeune souris du nom de Baptiste, fraichement embauché, au sein du prestigieux Bureau des Accrocheurs d’Étoiles, cet endroit merveilleux où chacun s’active à ce que chaque nuit soit éclairée d’une myriade d’astres scintillants.
Baptiste se prépare à sa première soirée, casque de chantier vissé sur ses deux oreilles, outils à la ceinture, manuel des procédures en poche et gants spéciaux, car, on ne touche jamais une Étoile à mains nues, c’est interdit, dit le manuel, que Baptiste a feuilleté distraitement pendant son déjeuner.
C’est donc fin prêt qu’il se rend au B.A.E en sifflotant juché sur son monocycle, seul véhicule autorisé à circuler à Miunville. Les rues sont encore bondées en cette fin d’après-midi, les petits rentrent de l’école, les boutiques commencent à mettre les gens dehors et les amoureux flânent au soir couchant.
Alors qu’il se dirige vers les vestiaires, le chef Mingus l’interpelle :
— Hey bonsoir Baptiste, alors, prêt pour ton premier soir ? Tu as bien lu le manuel ?
— Oui chef ! Tout à fait, c’est très instructif ! élude Baptiste.
— Hum bien bien, alors soit prudent, je ne veux pas de blessés ce soir, j’aimerais rentrer tôt.
— Bien chef, je ferais de mon mieux !
Mingus s’éloigne d’un pas lourd, cette vieille souris devrait être en retraite depuis qu’il traine la pâte et la queue, enfin de toute façon, il ne semble plus voler, il supervise au sol, remarqua notre jeune ami.
Le vestiaire est bruyant, tout le monde y va de son anecdote du jour, se tapote l’épaule, se bouscule en riant fort. Personne ne remarque Baptiste qui se faufile bien vite vers son casier afin d’y déposer sa collation et prendre le balai volant qui lui a été assigné la veille. De toute sa vie, c’est bien la seule chose qu’il aimait à l’école, les cours de balai volant. Bien qu’il soit interdit de circuler sur balai en ville, tous les enfants se doivent d’apprendre cette conduite, le B.A.E. recrute beaucoup plus de souris que le reste des entreprises de la ville, les étoiles sont bien trop nombreuses et chaque employé ne peut en porter que 5 ou 6 dans sa besace selon le gabarit de l’individu et sa force.
Dans sa hâte de voler à nouveau, il faillit oublier de passer par le coffre-fort des Étoiles, où elles sont distribuées avec mille précautions. Baptiste se mêle donc à la foule en file indienne, impatient comme jamais. Plus il approche, plus ses moustaches frétillent, comme si chaque déplacement d’une étoile provoque de l’électricité dans l’air.
C’est devant une souris apparemment plus âgée que son chef et l’air plus sévère, du nom de Maggie, que Baptiste se poste. Elle le jauge de la tête aux pieds.
— Votre nom ? ordonne-t-elle.
— Baptiste Chevron m’dame ! C’est mon premier soir, annonce-t-il tout guilleret.
— Eh bien ! Tâchez de ne pas perdre nos précieuses !
Elle pointe son nom sur son bloc note.
— Votre baluchon, je vous prie ? en pointant le stylo sur celui-ci.
Baptiste qui met quelques secondes à réagir, ouvre et présente précipitamment son sac à l’employée qui en vérifie le fond et y dépose, à l’aide d’une grosse pince, une par une 3 étoiles aussi grosse que son casque.
— Seulement 3 ? balbutie Baptiste, déçu.
— Tu l’as dit toi-même c’est ton premier soir, on va y aller doucement. File donc, le ciel n’attend pas.
Baptiste referme son baluchon qu’il attache fermement et s’éloigne rapidement, les étoiles qui ballotent dans son dos et son balai solidement harnaché à la main gauche.
Il rejoint la cour intérieure du Bureau et se mêle à ses collègues qui s’envolent les uns après les autres vers le ciel encore légèrement lumineux.
Il relève la tête.
— C’est parti !
D’après la formation théorique, qu’il a reçu rapidement la veille, il est assigné à un emplacement précis de la voûte céleste, pas besoin de carte ou de connaissance en astronomie pour s’y rendre. Son balai est paramétré pour l’emmener dans son secteur.
Il sait qu’il ne peut donc pas se balader, mais l’idée de simplement voler le rempli de bonheur, oubliant presque sa mission principale.
Il active le bouton de démarrage et se cramponne à son balai qui s’élève doucement dans le ciel, puis accélère. L’euphorie le gagne, voler, enfin, quelle sensation merveilleuse, ce vent dans le pelage, le soleil couchant à l’horizon et cette impression d’être seul au centre de l’univers. La ville en dessous devient de plus en plus petite, spectacle fascinant sur lequel il s’extasie au moment où son balai s’arrête net dans sa course, manquant de le faire basculer dans le vide.
— C’est l’heure, il faut faire ce pour quoi je suis payé. Accrocher les étoiles, dit-il solennellement.
Il défait son sac et attrape avec ses gants une première étoile, elle pulse dans ses paumes, si lumineuse qu’il se demande s’il ne sera pas aveugle. Une chaleur infiniment douce émane de l’étoile qu’il tient fermement. Elle palpite de plus en plus fort à l’approche de son hôte, elle est comme aspirée et vient se loger parfaitement dans son emplacement, flamboyante. Baptiste est ébahi, c’est donc ça d’être un Accrocheur d’Étoiles. Sans plus attendre, il prend la deuxième étoile qui pulse encore plus fortement que la première, son emplacement est tout près et un “pop” se fait entendre, elle a trouvé sa place. Il ne lui reste qu’une étoile, plus petite celle-ci, elle pulse faiblement, mais sa douce chaleur est bien présente, en l’approchant de son oreille, il croit presque l’entendre chantonner.
C’est admiratif devant la beauté de l’astre que lui vient une idée :
— Que se passe-t-il si je la garde pour moi ?


  • Luc Baudot

Du balai
Une remise, quelque part.
La souris sort la tête de la botte de genêts et scrute les alentours. Personne. Elle grimpe le long du manche à balais qui l’amène jusqu’à une étagère où sont empilées des boîtes en carton. Si les rongeurs savaient lire, elle verrait écrit « véritables LU » sur l’emballage avec une date de péremption qui n’arrivera pas avant plusieurs siècles. Un carton présente une ouverture aux contours grignotés. Elle s’infiltre dedans, alléchée par les gâteaux pourtant rassis, juste comme elle les aime. L’animal sort tant bien que mal quelques biscuits de l’emballage, en fait tomber la moitié sur le balai en dessous, puis entame son premier petit beurre avec délectation, en commençant par les oreilles…
Un donjon, au même endroit.
Elle a déjà retourné plusieurs fois la pièce de fond en comble, à la recherche de la clé.
— Bon sang, où est-ce que j’ai bien pu la fourrer ?
— « Elle a perdu la clé, la gourde ! », « T’as demandé à Saint Antoine ? », « Une clé de trente centimètres de long, ça se voit », « Regarde dans tes poches ! », « La porte est bloquée, de toute façon… »
— SHUT UP, LES FILLES. T’as dis quoi Najâ ?
— « La porte est bloquée depuis des années, et t’as jeté la clé, t’étais en colère ! »
— « LOL ! Ça fait une heure qu’elle cherche », « Elle décaroche complètement la vieille ! », « Heureusement que Najâ est là… »
— FERMEZ LÀ OU JE VOUS METS AU PLACARD !
— « Tout de suite les grands mots », « Encore des menaces, elle est belle la démocratie », « Ouais, tu vas voir, elle va nous faire le coup du 49.3… » CLAC !
— Je vous avais prévenues !
Le calme revenu, Mémé Dhuzz coiffe son postiche avec les faux-serpents. Une gorgone chauve, ça ne se fait pas ! Déjà qu’elle ne peut plus figer personne depuis ses soucis de cornée, même au bord de la sénilité, on a sa fierté !
Elle reconsidère le problème en incluant ce que Najâ vient de dire. C’est vrai que depuis qu’ils l’ont bloquée ici, en entassant dans l’escalier tous ceux qu’elle avait figés en statues de pierre, elle ne peut plus sortir de chez elle.
Jusqu’à présent, cela ne l’a pas gêné. Habiter en haut d’un donjon a ses avantages : la vue du balcon est magnifique et côté tranquillité, on ne fait pas mieux. Il faut dire aussi qu’elle a tout le confort depuis qu’elle se fait ravitailler par les corbeaux de Mama Zone, une dryade qui commerce avec le futur : Écran plat, Neftlix, la belle vie, quoi ! Il lui manque juste la fibre, mais cela semble trop compliqué de faire remonter le temps aux câbles.
Toutefois aujourd’hui, après des centaines d’années à rester sur son canapé, les pieds dans ses pantoufles, elle doit sortir. C’est impératif ! Depuis quelques temps, les colis de Mama zone ne sont plus livrés et les messages qu’elle a envoyés restent sans réponse. Côté bouffe, elle a un peu d’avance en surgelés, mais la situation risque de devenir critique d’ici quelques années. Et surtout, elle va s’ennuyer sec si elle ne reçoit plus de colis à ouvrir avec de nouveaux gadgets. Elle doit absolument aller voir ce qui se passe, en forêt de Oualquindaid, au siège de la dryade.
Elle cogite quelques temps en suivant les murs circulaires de la pièce, évitant les statues de ses derniers serviteurs figés dans des postures incongrues, sur lesquels s’empilent les cartons vides de ses précédentes commandes. Elle passe pour la quinzième fois devant la porte-fenêtre donnant sur le balcon quand elle se frappe soudainement le front.
— Ah les cons !
Et tout de suite après :
— Ah la conne !
Elle vient de réaliser qu’endormie par le confort et les plaisirs du modernisme, elle en a oublié qui elle est.
— Les crétins, tous les mêmes…
Comme à leur habitude, lorsqu’ils ont bloqué sa porte en entassant les statues derrière, ils n’ont pas étudié le problème en profondeur. Ils se sont contentés de mesures d’éclat, à court terme. Elle se rappelle encore du discours à la population qui avait suivi : « Moi, Shérif de Raînolt, vous annonce que je viens d’assigner à résidence la gorgone appelée Mémé Dhuzz en la bloquant tout en haut du donjon. Cette dernière ne vous ennuiera plus et vous pouvez retourner cultiver vos terres sans crainte de croiser son regard. Je vous espère de belles récoltes rapides, afin de payer les taxes et arriérés que vous devez à votre Seigneur ».
Elle-même s’y était laissé prendre, l’esprit ramolli à rester scotchée devant les « soaps opéras » et les retransmissions sportives à la chaine.
Armée d’un solide en-cas pour la pause déjeuner, Mémé s’engouffre dans son débarras de la taille d’un entrepôt de logistique. Elle en ressort quatre heures plus tard, tenant un balai poussiéreux, SON balai, remisé depuis qu’elle s’est équipée d’un aspi-robot.
La nuit tombe lorsqu’elle remplace son postiche par la perruque avec les vrais serpents libérés du placard. Même si Najâ, Kobrâ, Mambâ et les autres lui prennent la tête, elle se sent plus complète avec ces éternelles pipelettes. Et puis elles serviront de casque, en cas de collision.
— « Ah ben, c’est pas trop tôt ! », « Tu t’ennuyais de nous, avoue… » « T’as ressorti le balai, l’aspi est en panne ? »
— Bon, ça va, les filles, on va prendre l’air. Vous devriez êtes contentes !
— « On va s’envoyer en l’air ? », « On y croyait plus », « Et tu sais encore te servir d’un balais ? »
— T’inquiète Boâ, c’est comme le cheval, ça s’oublie pas… »
Mémé Dhuzz enfourche le manche, enjambe la rambarde du balcon, et se jette dans le vide… « YIIPPPEEEEE !!! »
Ciel de quelque part.
La souris sort la tête de la botte de genêts et scrute les alentours. Elle ne voit que du noir, et sent le vent qui frappe son museau de toute sa force. Résistant au souffle d’air, elle discerne une multitude de lumières qui percent le noir ainsi qu’une forme monstrueuse juchée sur le manche du balai. Paniquée, elle retourne dans les branchages. Son ventre crie famine et le festin prévu est annulé. Que faire ? À moins que…
Fébrilement, elle fouille dans les genêts et finit par en trouver un, en plusieurs morceaux mais qu’importe. Alors, bien à l’abri du vent au milieu des genêts, elle entame le petit beurre, en commençant par les oreilles.


  • Dorothée Fourez

La sourcière
Je suis la sourcière,
Le soir j’attrape les étoiles quand tes yeux se voilent,
Je rends la nuit noire et crée des filtres d’espoir.
Sur mon balai, j’envole tes rêves loin des cauchemars,
Je suis la sourcière
Gardienne de tes chimères
À la lune Claire, S’éteignent les asters,
Je traîne leurs cheveux
Pour que s’accomplissent tes vœux.
Je suis la sourcière
Fée des lumières
Je fais valser tes souhaits
Au gré de mes ballets.
Ferme tes mirettes pour me voir apparaître,
Je suis la sourcière
Je suis le secret
Chut…. sinon je disparais.

Belle lecture à tous,

A bientôt 💋

Amelia, alchimiste des mots
au coeur des Mots Lumières

4 réflexions sur “Le Rendez-Vous des Plumes – Octobre 2024”

  1. Dolinique Narbeburu

    Cette nouvelle d’Amapola m’a ramené tout droit dans le monde de Pratchett et dans celui de la petite souris Célestine :). Je me suis régalé !

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